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Les Lumières en Europe

Par J. Komorn


 

1. Un mouvement européen

a) Lettre de Voltaire au prince de Gallitzin, ambassadeur de Russie en France

À Ferney, 14 auguste (1767)

Il y aura toujours de l'ignorance, de la sottise et de l'envie, dans ma patrie; mais il y aura toujours de la science et du bon goût. J'ose vous dire même qu'en général nos principaux militaires et ce qui compose le conseil, les conseillers d'État et les maîtres des requêtes, sont plus éclairés qu'il ne l'étaient dans le beau siècle de Louis XIV. Les grands talents sont rares, mais la science et la raison sont communes. Je vois avec plaisir qu'il se forme dans l'Europe une république immense d'esprits cultivés. La lumière se communique de tous les côtés. [...] Il s'est fait, depuis environ quinze ans, une révolution dans les esprits qui fera une grande époque. f...]

Voltaire, Choix de lettres, Hachette, Paris, 1885, cité par MARSEILLE (Jacques) dir. et alii, Histoire 2e, Nathan, Paris, 1987.

http://www.lib.utexas.edu/Libs/PCL/portraits/voltaire.jpg

b) Qu'est-ce que "les Lumières" ? (1784)

[Voir dossier Emmanuel Kant, Portrait d'un philosophe des Lumières.]

2. Une réflexion sur l'éducation et la science

a) Une génération de philosophes et de pédagogues

[Voir dossier Emmanuel Kant, Portrait d'un philosophe des Lumières.]

b) L'enseignement des sciences de la nature selon Rousseau (1784)

Rendez votre élève attentif aux phénomènes de la nature, bientôt vous le rendrez curieux; mais pour nourrir cette curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire. Menez les questions à sa portée, et laissez-lui les résoudre. Qu'il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu'il l'a compris lui-même ; qu'il n'apprenne pas la science, qu'il l'invente. Si jamais vous substituez dans son esprit l'autorité à la raison, il ne raisonne plus ; il ne sera plus que le jouet de l'opinion des autres.

Vous voulez apprendre la géographie à cet enfant, et vous lui allez chercher des globes, des sphères, des cartes : que de machines! Pourquoi toutes ces représentations ? Que ne commencez-vous par lui montrer l'objet même, afin qu'il sache au moins de quoi vous lui parlez ?

Une belle soirée, on va se promener dans un lieu favorable, où l'horizon bien découvert laisse voir à plein le soleil couchant, et l'on observe les objets qui rendent reconnaissable le lieu de son coucher. La lendemain, pour respirer le frais, on retourne au même lieu avant que le soleil se lève.

http://www.voltaire.ox.ac.uk/im/ROUSSEAU.JPG Rousseau, L'Emile, 1762.

3. Une passion commune : la liberté

a) Des penseurs nés des révolutions anglo-saxonnes

1.  Les révolutions anglaises

1.1. John Milton sur Charles 1er [cf un manuel de 4ème Ancien programme à couverture noire, p. 54]

Défense du peuple anglais, 1651

1.2. la Déclaration des droits de 1689

Déclaration des droits, 1689

1.3. Texte de John Locke, théoricien du libéralisme

La liberté naturelle de l'homme, c'est de ne reconnaître sur terre aucun pouvoir qui lui soit supérieur, de n'être assujetti à la volonté ou à l'autorité législative de personne [..]

La liberté de l'homme en société, c'est de n'être soumis qu'au seul pouvoir législatif établi d'un commun accord dans l'État et de ne reconnaître aucune autorité ni aucune loi en dehors de celles que crée ce pouvoir conformément à la mission qui lui est confiée [...]

Il est clair, dès lors, que la monarchie absolue, considérée par certains comme le seul gouvernement au monde, est en fait incompatible avec la société civile [..]

La grande fin pour laquelle les hommes entrent en société, c'est de jouir de leurs biens dans la paix et la sécurité. or, établir des lois dans cette société, c'est constitue le seul moyen pour réaliser cette fin. Par suite, dans tous les États, la première et fondamentale loi positive est celle qui établit le pouvoir législatif. [...]

Et aucun édit, quelle que soit sa forme ou la puissance qui l'appuie, n'a la force obligatoire d'une loi, s'il n'est approuvé par le pouvoir législatif, choisi et désigné par le peuple. [...]

http://ethics.acusd.edu/Images/Locke.jpg John Locke, Essai sur le pouvoir civil, 1690.

2. La naissance des États-Unis

[Déclaration d'indépendance des États- Unis, 2 juillet 1776]

b) Une commune pensée sur la liberté, droit naturel de l'homme

Qu'est-ce que "les Lumières" ?, Kant, 1784, [voir dossier].

Les Lumières en Europe : Emmanuel Kant

1. Portrait d'un philosophe des Lumières

a) Naissance et origine http://www.lib.utexas.edu/Libs/PCL/portraits/kant.jpg

Emmanuel Kant est né le 22 avril 1724 dans une famille d'artisans de onze enfants à Königsberg, tout au nord de la Prusse orientale. Il a reçu une éducation morale et religieuse qui l'a marqué toute sa vie.

b) Formation

Il étudie dans le collège de sa ville natale à partir de 1732. En 1740, Il entre à l'université de Königsberg et suit un enseignement philosophique et scientifique (mathématiques et sciences physiques). La philosophie de Kant est inspirée de la mathématique : démonstrations rigoureuses, définitions précises, raisonnement logique. En 1747, Kant doit abandonner ses études suite à la mort de son père.

c) vie, enseignement et œuvre

Kant devient pour huit ans précepteur (= professeur particulier des enfants) dans différentes familles nobles des environs de Königsberg.

En 1755, il enseigne à l'université de Königsberg : philosophie sciences naturelles, géographie physique et théologie.

En 1770, il est nommé professeur de logique et de métaphysique (ce sont des branches de la philosophie consacrées respectivement au raisonnement et à la réflexion sur des notions abstraites et souvent en rapport avec la religion : morale, foi, nature de Dieu et de l'homme...).

Jusqu'en 1797, son enseignement sera de plus en plus varié : mathématiques et géographie, logique, métaphysique, physique et pédagogie. Il devient recteur puis doyen de son université (1786, 1792).

Kant n'a jamais quitté Königsberg. Il a pourtant ouvert la première chaire de géographie d'Allemagne. Il est cependant en relation écrite avec toute l'Europe des scientifiques et des penseurs. Il sera élu membre des Académies de Vienne et de Saint-Pétersbourg, entre autres distinctions.

En 1797, fatigué, il abandonne l'enseignement pour écrire. Le 12 février 1804, sentant la mort venir, il dit simplement: "C'est bien."

2. Œuvres

Kant a écrit un nombre important d'ouvrages de tailles et de sujets très variés. Les plus célèbres, assez difficiles d'abord, sont les trois Critiques.

a) L'œuvre critique

b) La réflexion sur la morale

Un texte très important, Fondements de la métaphysique des mœurs, règle le problème de le morale et du comportement. Il répond à la question: Pourquoi et comment se comporter bien? Kant trouve à cette question des réponses qui ne font aucun appel à la religion. On peut ramener la morale de Kant à une phrase, appelée l'impératif catégorique :

"Fais en sorte que la maxime de ton action puisse être une loi universelle de la nature".

Ceci signifie : chaque fois que tu te prépares à agir, réfléchis et demande-toi si la société peut continuer à fonctionner quand tout le monde agit comme tu envisages de le faire.

On a accusé Kant, bêtement, de n'avoir fait qu'une morale théorique, abstraite et irréalisable. Toute sa vie et ses portraits (voir ci-dessous) montrent à quel point cette accusation est injuste.

Kant a écrit également des textes plus courts et plus abordables, comme Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières? (extraits ci-dessous, 4.).

3. Kant vu par ses contemporains

L'homme Kant fut un peu moqué par ses contemporains pour certains traits de sa personnalité, comme sa ponctualité et sa régularité névrotiques (= maniaques, au point de sembler maladives).

De toute sa vie, Kant ne quitta jamais sa région natale. De toute sa vie, il ne modifia jamais l'heure et le parcours de sa promenade quotidienne, à l'exception d'une seule fois, pour aller prendre des nouvelles de la Révolution française. Le poète Henri Heine a écrit qu'il ne croyait pas "que la grande horloge de la cathédrale de Kônigsberg eût accompli sa tâche avec plus de régularité que son compatriote Kant".

Il ne faut pas s'arrêter bien sûr à cette image de Kant. Il a été avant tout un grand, un très grand maître. Voilà ce que son élève, Herder, qui pourtant s'est opposé à lui, a écrit au sujet du plus grand philosophe du XVIIIe s. :

"J'ai eu le bonheur de connaître un philosophe qui était mon maître. Il était alors dans tout l'éclat de l'âge et il avait une gaieté alerte de jeune homme qui l'accompagne encore, je crois, dans ses années de vieillesse. Son front découvert, taillé pour la pensée, était le siège d'une sérénité et d'une joie inaltérables; de ses lèvres coulaient les discours les plus riches en idées ; plaisanterie, esprit, verve, tout cela était docilement à son service, et ses leçons étaient le plus intéressant des entretiens. Le même esprit qu'il employait à examiner Leibniz, Wolff, Baumgarten, Crusius, Hume, à scruter les lois de la nature chez Newton, Képler, les physiciens, il l'appliquait à interpréter les écrits de Rousseau qui paraissaient alors, I'Emile et la Nouvelle Héloïse au même titre que toute découverte physique qui venait à lui être connue, il appréciait et il revenait toujours à une connaissance de la nature libre de toute prévention, ainsi qu'à la valeur morale de l'homme. L'histoire de l'homme, des peuples, l'histoire et les sciences de la nature, l'expérience étaient les sources où il puisait de quoi alimenter ses leçons et ses entretiens. Rien de ce qui est digne d'être su ne lui était indifférent; aucune intrigue, aucune secte, aucun préjugé, aucun souci de renommée ne le touchait en rien, auprès de la vérité à accroître et à éclairer. Il excitait les esprits et les forçait doucement à penser par eux-mêmes; le despotisme était étranger à son âme. Cet homme que je ne nomme qu'avec la plus grande reconnaissance et le plus grand respect est Emmanuel Kant : son image, je l'ai toujours, pour ma joie, sous mes yeux."

Cité par V. Delbos, Philosophie pratique de Kant, Paris, 1969.

4. Kant par lui-même

Voici maintenant un texte où Kant fait un portrait du "mélancolique". on pense que ceci représente son idéal de comportement. Pour beaucoup, c'est celui qu'il a tenté et réussi à être sa vie durant.

"Le mélancolique se soucie peu du jugement des autres, de ce qu'ils tiennent pour bon ou pour vrai : il ne se fie qu'à son propre discernement. Il est d'autant plus malaisé à convertir à d'autres pensées que ses mobiles prennent le caractère de principes; et sa constance dégénère parfois en entêtement. Le changement des modes le laisse indifférent. Parce qu'elle est sublime, l'amitié est un sentiment qui lui convient. Si un ami inconstant le délaisse, il ne le délaissera pas pour autant. Il sait respecter jusqu'au souvenir d'une amitié éteinte. Il regarde pour belle la loquacité (= le fait de bien parler), et pour sublime et éloquent le silence. Il sait garder ses secrets et ceux d'autrui. Il considère la véracité (= la vérité) comme sublime et ne hait rien tant que le mensonge et la dissimulation. Il nourrit un sentiment élevé de la dignité de la nature humaine et tient tout homme pour un être digne de respect. Toute basse sujétion (= dépendance) lui répugne, son noble cœur respire la liberté. Il ne souffre ni les fers dorés que l'on porte à la cour, ni les fers pesants des galériens. Il se juge sévèrement, comme il juge autrui."

[Kant ajoute avec une certaine ironie :]

"Il lui arrive d'être fatigué de lui-même et du monde".

Kant, Observation sur le sentiment du Beau et du Sublime,

5. Qu'est-ce que "les Lumières" ? (1784)

"Qu'est-ce que les Lumières ? La sortie de l'homme de sa Minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c'est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (= de sa raison) sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des lumières.

La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes [...] restent [...], leur vie durant, mineurs, et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteur des premiers. Il est si aisé d'être mineur! [...]

Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer; d'autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. [...]

Or, pour les lumières, il n'est rien requis d'autre que la liberté; et à vrai dire, la liberté la plus inoffensive de tout ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Mais j'entends présentement crier de tous côtés : "Ne raisonnez pas !" L'officier dit : "Ne raisonnez pas, exécutez ! " Le financier: "Ne raisonnez pas, payez ! " Le prêtre: "Ne raisonnez pas, croyez !" [...] ll y a partout limitation de la liberté. [...]

[Pour Kant, c'est seulement dans un État libre et juste que le système de pensée des lumières est possible. Il s'énonce alors ainsi :]

"Raisonnez tant que vous voulez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez !""

Kant, Réponse à la question: Qu'est-ce que les Lumières?, 1784


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